D’ici là
« Mon travail photographique est un mélange d’histoires et d’approches. Histoires personnelles voire intimes lorsque je photographie des thèmes comme la mémoire, la famille, la vie, la mort. Approche documentaire lorsque je me tourne vers les autres pour essayer de témoigner de leurs propres histoires. Et puis, il y a des images que je prends au quotidien. Ici ou là-bas ».
Même s’il ne fait a priori pas partie des figures déjà reconnues de la jeune photographie d’auteur en Belgique, Jérôme Hubert y est actif depuis pas mal d’années déjà ; périphérique en apparence (Jérôme travaille aussi comme indépendant en création de sites web, photo, vidéo et graphisme), épisodique mais avec une forme de douce constance, son rapport à la photographie a fini par dessiner les contours d’une personnalité propre et, si pas d’une écriture tout à fait arrêtée, d’une personnalité singulière et attachante, d’une histoire reconnaissable : la sienne. Événements simples et essentiels (la rencontre d’une femme, la naissance d’une fille, la perte d’un père…), tristes ou heureux, centraux dans un récit qui aborde aussi la question de la migration ou du déracinement, Jérôme étant né à Tunis (en 1983) et glanant dans le Maghreb, depuis sa première série, L’allée du retour, il y a une douzaine d’années, des éléments de son héritage familial et culturel.
D’ici là, présenté dans le cadre des Propositions d’artistes, est ainsi une géographie humaine façonnée par les lieux et par le temps. Du lieu de naissance tunisien à la croisée de chemins belges, siciliens et asturiens, sans exotisme forcé, ce travail « se demande où on va et d’où on vient. Il répond à un rêve d’ailleurs, un désir constant de mouvement ». Mais il se complète aussi d’images mentales, de voyages immobiles, de petits riens vitaux — comme encore, hors-cadre par rapport au projet qui nous occupe, ces promenades au parc voisin, par temps de confinement, où l’on croise une gamine et des chiens comme autant de petites bouffées d’air.
Avec pudeur et délicatesse, naviguant entre paysage et portrait (aussi bien au niveau du format d’image que de la juste distance à trouver), usant de surcadrages sans pour autant faire le mariole, ou de touches de couleur sans pour autant chercher à faire joli, Jérôme Hubert compose une mosaïque impressionniste, faite de bribes de temps plus que de références, de sensations plus que de citations. Les ombres dessinent avec régularité des signes évidents ou incompréhensibles ; mais la lumière, surtout, traduit ou trahit des origines sableuses et ocres, méridionales. Des formes et des visages passent — seuls ceux de la compagne et de l’enfant prennent la peine de s’arrêter et de se livrer, confiants, paisibles. D’ici là, c’est si loin et si proche, une distance symbolique qui peut paraître infranchissable ; mais c’est aussi tout juste l’élan qu’il faut, la mince et magique pellicule qui sépare et relie deux épidermes, deux sensibilités.
Et de quelle ailleurs ou de quelle tendresse faudrait-il donc se méfier?… Par ces temps frileux à l’excès ou trop friands d’étiquettes, une telle approche de la photographie, libre et spontanée, est avant tout une invitation au partage… presque un cadeau.
Emmanuel d’Autreppe, commissaire de l’exposition, janvier 2022
Le dossier de Jérôme Hubert a été sélectionné lors des «Propositions d’artistes» 2021, appel à projets annuel initié par Contretype.
Website: www.jeromehubert.be
© Jérôme Hubert, série D’ici là, 2011 - 2021